lundi 30 novembre 2015

Lettre à une vieille amie

Comme chaque année je t’attendais, avec un mélange d’inquiétude, d’impatience et d’excitation. 
Tu n’as pas ton pareil pour arriver sans crier gare, sans prévenir, me surprenant à chaque fois par ton sens unique et inné de la surprise. 

Cela fait maintenant cinq ans que tous les hivers tu nous fais l’honneur de ta venue dans notre foyer, tu ne raterais pour rien au monde un rendez-vous, je suis admirative de tant d’assiduité. 
Pourtant, je me dis qu’inévitablement un jour tu vas nous oublier, préférant une autre famille à la notre malgré l’attachement que tu lui portes. Et ce serait ô combien légitime! Nous ne pouvons raisonnablement pas être tes élus chaque hiver que Dieu (ou Catherine Laborde) fait! Et pourtant… 
Tu as beau être d’une fidélité exemplaire, tu parviens toujours à me prendre de court! Je ne suis jamais assez équipée ou assez prête pour t’accueillir... Je compose donc dans l’urgence avec ce que j’ai sous la main devant presque systématiquement m'en remettre à des ressources extérieures pour te réserver l'accueil et le traitement que tu mérites. 

Ta générosité, ton goût du partage et de l'équité sont les valeurs qui t'animent et te rendent si singulière et attach(i)ante. Se débarrasser de toi n'est pas chose aisée, comme le disait le grand Johnny Castle: on ne laisse pas bébé dans un coin et tu aimes être au coeur de toutes les attentions.

Tu es une vieille amie, et je me dois donc d'être honnête avec toi, parfois tu en fais trop, vraiment... Essaye dans la mesure du possible de ne pas trop écoeurer les gens (ou de ne pas les faire ch**r) 
Trop de mielleuseries et de sollicitudes peuvent frôler l'indécence et provoquer une indigestion. 

Malgré ces reproches à mots couverts, je te reconnais cependant une qualité indéniable : en ces temps troublés qui font régner en nous le doute, la peur et le chaos, tu nous rattaches inlassablement à l’essentiel, tu nous montres que la vie continue et qu'une fois touché-e-s par ta grâce nous ne sommes que des êtres humains, égaux et tous aussi démunis dans notre quête du Graal que sont le sachet de Smecta salvateur ou le suppositoire de Vogalène apaisant. 

Pour cette remise en perspective, pour l'attachement inconditionnel que tu nous voues je te remerchie gastro-entérite de mes fesses.

mardi 17 novembre 2015

Les bulles d'amour

photo prise à Barcelone, 14 nov 2015
photo prise à Barcelone, le 14 novembre 2015
Il avait pourtant bien commencé ce vendredi 13.
Mon réveil avait sonné à l'heure. 
Il faut dire que je devais prendre un avion pour rejoindre mon amoureux à Barcelone, ville de soleil, de tapas et de fête, il était donc hors de question d'arriver en retard.
J'ai attendu le bus, un peu, puis arrivée à la frontière j'ai pris le tram, puis un autre bus : j'aime quand un plan se déroule sans accroc. Pas d'échelle, pas de chat noir, pas de miroir cassé, pas de pied droit dans une merde de chien (eh ouais meuf/mec c'est le pied gauche qui porte bonheur! Le droit ça pue et ça te pourrit ta grolle c'est tout)
Mon vol Easyjet était miraculeusement à l'heure, pas de psychopathe à l'horizon parmi les passagers du vol (ayant vécu une expérience complètement flippante avec un voyageur le jour de la prétendue fin du monde il y a 3 ans, je suis toujours un peu au taquet avec mes voisins de carlingue chelous).
Comble du cul bordé de nouilles caractéristique d’un vendredi 13, ma valise était la première sur le tapis à bagages: non mais quelle conne de ne pas avoir joué à l'euro million sérieux ! La prochaine multi millionnaire sur cette planète c'était forcément moi avec une baraka pareille!
Franchement, qu'est-ce qui pouvait bien se passer de grave ? C'est vraiment de la superstition à la con ce vendredi 13.
Et puis plus tard dans la journée ça a commencé à partir en cacahuète...

Le soir mon amoureux a voulu m’emmener dans le resto « THE place to be » trendy de Barcelona où il avait déjà dîné une fois dans la semaine.
Ambiance tapas asiatiques, chef un peu cramé ayant visiblement claqué la porte de son ancien resto pour ouvrir celui-ci, un type un peu fou-fou rebelle qui allait nous concocter avec sa brigade un menu dégustation de 17 plats !! Bref, la promesse d’une excellente soirée à n’en pas douter.
Sauf que, moi qui était déjà un peu brassouille, la vue d’entrée de jeu sur le concombre de mer qu’un mec était en train de découper façon sashimis devant nous, a fini de faire baigner mes dents du fond. Ouais bon ok, je suis peut être une petite nature j’avoue, mais je me suis dit plutôt entamer un jeûne d’une durée indéterminée plutôt que de manger CA ! Puis les plats ont défilé les uns après les autres, trop de cru, trop de chelou, trop de cervelle, trop de trop qui tuait le trop ! J’ai tourné au Coca toute la soirée et ai ingurgité un ou deux trucs parmi les 17 qui me semblaient un peu moins pires, j’ai fait la gueule parce que comme dab, je comprenais tout ce que les serveurs me disaient mais j’étais incapable de leur répondre dans un anglais ou un espagnol correct selon moi, alors je me suis dit qu’en faisant ma grumpy girl ils arrêteraient de me parler et moi de ne pas réussir à leur répondre. Le clou de la soirée : le dessert ! Mon homme, contrit de me voir ainsi déconfite devant chaque assiette qui m’était présentée, a pensé sauver mon repas en commandant un dessert dont il m’a assuré « qu’il allait me plaire »
Amoureusement je l’ai cru. Mais quand, amoureusement, j’ai avec un entrain non dissimulé enfourné une cuillère de cette curieuse spécialité glacée dans ma bouche, j’ai eu l’impression d’avaler cul sec un tube d’Efferalgan et là c'en fût trop. J’ai donc amoureusement fait comprendre à mon cher et tendre que son dessert au paracétamol il pouvait se le carrer où je pensais en compagnie du concombre de mer pendant qu'on y était.
Nous sommes rentrés silencieusement à l'hôtel, en laissant une distance de sécurité réglementaire entre nous, nous n'allions quand même pas nous donner la main merde!
Nous nous sommes couchés à l'auberge des culs tournés, sans échanger de baiser, sans nous dire bonne nuit ni je t'aime.

Le lendemain matin, en me réveillant, j’ai reçu un sms, que je n'ai pas vraiment compris alors j'ai cherché, j'ai trouvé bien trop facilement et j'ai lu l'horreur, sans fin... Et j'ai eu envie de demander pardon.

Pardon à mes enfants de leur avoir sûrement dit au revoir trop vite le matin, sans leur avoir fait autant de bisous qu’ils le réclamaient ni leur avoir suffisamment dit « Je vous aime ».
Pardon à mon homme d’avoir oublié qu'il m’avait invitée dans ce resto parce qu'il m'aimait et parce qu'il voulait me faire plaisir.
Pardon d’avoir fait la gueule, de m'être laissée polluer l'esprit par du bullshit tandis que des innocents s'accrochaient désespérément à la lueur de la vie au milieu des ténèbres.
Pardon de ne pas avoir touché à mon assiette alors que certain-e-s auraient tellement aimé la finir.
Pardon d’avoir gâché une soirée qui aurait du être une fête alors qu’ailleurs la fête tournait au cauchemar.
Pardon de ne pas avoir célébré la vie autant qu’elle le méritait pour faire un gros fuck à la mort qui se la racontait un peu trop ce soir là.
Pardon d’avoir regardé un peu trop mon nombril alors que des centaines de héros étaient en train de s’occuper de celui des autres.
Pardon d'avoir cédé aux sirènes de la futilité perdant de vue celles de l'essentiel de notre existence : l'amour, la joie de vivre, le bonheur d'être ensemble. 

Ce soir je vais boire une bière même si je n'ai pas fait 80 squats ni monté 3 fois 7 étages à pied pour la mériter. Et fuck la cellulite, qu’est-ce qu’on s’en tape putain ?
Je vais la boire pour Thomas, Elodie, Juan, Amine, Djamila et tous les autres, d’ici ou d’ailleurs.
Je vais la boire tout simplement pour célébrer cette liberté que j'ai de le faire, cette liberté qu’on voudrait nous enlever au nom d’une folie qui n’a pas de sens.

Il avait pourtant bien commencé ce vendredi 13.

Malheureusement c'était le vendredi 13 novembre 2015 et c'était une belle grosse journée de merde.

samedi 14 novembre 2015

L'indicible...

13 novembre
Journée mondiale de la gentillesse et depuis hier soir journée mondiale de l'horreur, de la barbarie et de la tristesse absolues. 
Je me rends juste compte à quel point le fait d'avoir deux petits êtres à soi rend ce genre de tragédie encore plus anxyogène, plus effrayante. 
"Terrorisme" c'est pas si loin que ça de "Terroriser" 
Bravo les mecs, vous avez bien réussi votre coup je crois. 
J'ai envie d'écrire mais j'ai surtout envie de me taire, de pleurer et de penser à ces gens qui allaient juste voir un concert ou boire un verre et ont croisé la folie de la mort au bout d'une rue ou d'une salle de spectacle. 
Je pense à Paris, je pense à ses habitants, je pense à mes ami-e-s, je pense à mes parents, je pense à mon pays, je pense à ce putain de monde et à mes enfants et je me dis qu'on est dans un joli bordel.


vendredi 6 novembre 2015

Lettre à mes 16 ans

Nous sommes en 1998. La France s'apprête à remporter sa 1ere Coupe du monde de football et accessoirement à nous casser les rouleaux pendant un trop long moment avec cet exploit jamais réitéré depuis je te rassure.
Cette conne de Rose n'a pas été fichue de faire une petite place à Jack sur son radeau de merde, si bien que le malheureux a fini sa vie comme un Croustibat en se farcissant du Celine Dion à plein volume,  je me demande d’ailleurs si c’est vraiment le froid qui l’a tué ou s’il n’a pas plutôt succombé à une rupture fatale du tympan doublée d’une overdose auditive. (si si ça existe! On voit bien que tu n’as jamais entendu René la taupe…) 
L'adoption des 35h a définitivement consacré l’hexagone au rang de "nation de glandus" aux yeux de ses besogneux voisins d’Europe et d’ailleurs.

Ta vie à toi ressemble plus au naufrage du Titanic qu’à l’ascension fulgurante des Bleus dans les yeux. Tu rames, tu pagaies, tu coules, tu t’agites et tu te noies gentiment dans l’indifférence presque totale…

A l’âge des premiers flirts, des premières amours, des premières cuites, des premiers joints, tes expériences les plus folles à toi ce sont l’anorexie et le harcèlement scolaire, youpi.
Ta balance va descendre jusqu’à 38 kilos, poids moyen d’un enfant de 12 ans ou d’un berger allemand, alors que ton compteur d’ami-e-s va lui désespérément stagner à 2 ou 3.
Il s’appelle Johan ou Yoann on s’en fout un peu parce que, que ce soit avec un J ou un Y, avec ou sans H,  ça reste un sale petit con. Un sale petit con qui, au début de l’année scolaire, te parle, te sourit, fait même un bout de chemin avec toi le soir en rentrant du lycée,  bref qui semble t’apprécier ou du moins ne pas te détester. Ce même sale petit con qui, quelques mois plus tard, te prendra visiblement pour cible et prendra surtout son pied à rallier à sa cause les 80% de ta classe. Le petit con est influent, il ne recule devant rien, forcément, c’est un petit con.  La brebis galeuse, le vilain petit canard, la meuf à abattre, appelle ça comme tu veux, mais ce que tu vas être pendant de trop nombreux mois. Ta balance qui affichait encore des chiffres décents en début d’année va descendre d’une première dizaine, puis d’une seconde… peut être que tu te disais qu’en devenant fine comme un Mikado, tu pourrais plus facilement te cacher derrière un arbre, derrière un poteau, derrière n’importe quoi pour qu’on t’oublie, pour qu’on te foute la paix, pour qu’on te laisse vivre ta vie d’ado de 16 ans qui méritait autre chose que les quolibets, la jalousie, la méchanceté d’une horde de jeunes cons pré-pubères.

Comme tu peux le constater, 17 ans après, cette histoire te rend toujours aussi vénère… Mais sois heureuse finalement d’avoir vécu ça en 1998 quand Internet, Facebook, Twitter, et tous ces déversoirs de haine et relais du harcèlement scolaire dans la rue, chez toi, dans ta chambre, partout, n’existaient pas. Je ne sais pas comment tu aurais géré ça, si te transformer petit à petit en squelette aurait suffi à effacer la tristesse et la douleur d’une situation qui t’aurait dépassée.

Les années passeront, tu reprendras des joues, tu conserveras la haine de ce garçon qui t’a sans doute volé une partie de ce qui aurait du être tes plus belles années. Tu garderas malgré tout des amis de cette période, une en tout cas, que tu choisiras comme marraine de ta fille… eh oui car tu vas avoir un enfant, et même 2 ! Toi qui craignais tellement de ne pas pouvoir devenir mère après avoir effacé tout ce qui faisait de toi une femme. Tu retourneras à Rome et tu aimeras cette ville que ce voyage scolaire avec tes bourreaux t’avait fait haïr en 1998. Tu te feras avoir encore une fois ou 2, peut être 3, à être « trop bonne trop conne » comme on dit. Mais ça je pense que c’est inscrit dans tes gênes tu n’y peux pas grand chose, il faut juste apprendre à vivre avec et limiter les dégâts. Ta fille semble être d’ailleurs faite du même bois, tu devras lui apprendre. Lui apprendre à être vigilante,  mais aussi lui apprendre à ne pas laisser un camarade de côté, à repérer celui ou celle que l’on rejette, celui ou celle dont on se moque, celui ou celle que l’on frappe, prendre sa défense, même si cela signifie s’élever contre la majorité des autres enfants de sa classe. Il n’y a rien qui pourra la rendra plus fière.
Ah si! Une chose peut être: par pitié, tu m’épileras ces sourcaïls de troll des bois parce que là la sourcillade en mode Emmanuel Chain ma séériiie c’est pas poussible, c’est pas moderne, c’est la CA-TA-STRO-PHE ! Enfin tu es toute pardonnée va, nous sommes en 1998 après tout.

« I will survive » entendait-on partout cette année là. Pour toi qui as toujours aimé écrire ta vie en chansons, ce titre était en fait résolument prémonitoire…Parce que tu es là, en chair plus qu'en os, parce que tu as parcouru plus de chemin que tu n'aurais pu l'imaginer, parce que tu apprends, enfin, petit à petit à t’affirmer et à dompter tes démons et parce qu'on est les champions oui ou merde?!

PS pour Y-Jo(h)an(n) : vas chier, ptit con